Ma première année universitaire fut celle de la réforme pour l’autonomie des universités (la loi L.R.U.) et celle des grèves qui s’en suivirent. Mon université fut bloquée pendant presque un semestre, et ce qui m’a marqué lors de cette lutte sociale, c’était comment deux mondes si proches, la société et l’université, pouvaient être dans un même temps si éloignés presque déconnectés, en tout cas, plus sur la même longueur d’onde. Avant cela, au lycée technologique dans lequel j’étais, j’avais pu assister à de nombreux discours négatifs sur notre institution. Elle y était alors présentée comme une structure faite pour accueillir des élèves plus matures, venant de filière générale, mais surtout comme étant une structure où les étudiants y étaient perdus, livrés à eux même, sans encadrement pédagogique. Ce n’était d’ailleurs pas le seul discours de ce type que j’avais pu entendre. Dans ma famille aussi, plusieurs déclarations représentaient l’université comme un lieu où les étudiants passaient plus de temps à faire la fête qu’à travailler. Bien entendu, je ne partageais pas ces points de vue, mais il s’agissait en même temps de paroles honnêtes (non intéressés), avec leur part de vérité, et il me semble aujourd’hui que cette pluralité de discours montre bien à quel point le sujet divise. Cette fracture, peut aussi se remarquer lors des différents forums d’orientation étudiant (comme par exemple le forum de l’enseignement supérieur, ou les portes ouvertes de l’université). En discutant avec certains élèves, en répondant à certains parents, en écoutant certains enseignants-chercheurs, on peut aussi se rendre compte à la fois d’une méconnaissance (légitime) de l’université, mais aussi, un certains malaise quant à déterminer ce qu’est le rôle de notre institution, expliquer ce qu’on y fait, à quoi ça sert, etc. Cette fracture peut se percevoir, ensuite, dans les taux d’échecs lors des premières années d’études post-bac, dus en partie à des problèmes d’orientations (et donc à un manque de connaissance de ce qu’est l’université). Enfin, cette fracture apparaît, il me semble, dans la place marginale que prennent les facultés dans les budgets qu’on lui octroie (en particulier celles des SHS). Est-ce que tout cela veut dire que l’université est réellement déconnectée de la société ? Je ne sais pas. Parce que, si on regarde le problème sous un autre angle, si l’on voit le nombre d’étudiant que l’université accueille et accompagne (malgré tout) chaque année, on ne peut pas se contenter de voir les choses négativement. La réponse à cette question se doit donc d’être plus nuancée. Malgré tout, si une certaine idée de fracture parait ressortir dans les différents discours sur l’université, cela n’est pas anodin. D’un point de vue plus politique, plus global, un des trois grands objectifs affichés de la loi LRU allait d’ailleurs dans ce sens d’une université plus proche de la société, d’une université « plus attractive » (selon wikipedia dernière consultation le 20/04/14). Mais les faits, le projet Campus (suivant cette loi) allait dans le sens d’une excellisation de l’université (au détriment d’une université plus populaire et moins sélective). Cette fracture de l’université, ce non conformisme à propos de son rôle, apparaît alors comme quelque chose d’intrinsèque avec lequel, nous, universitaires, chercheurs, étudiants, auteurs en sciences humaines, nous devons évoluer, nous adapter, ne pas le voir comme une contrainte mais au contraire, comme une perspective pour (re)prendre les choses en main, se (re)mobiliser, se réapproprier l’université afin de la rendre encore plus liée avec la société, encore donc plus populaire, sans pour autant perdre un certain niveau d’excellence. Mais pour cela, je pense que nous devons aussi changer nos habitudes, notamment vis-à-vis de nos façons de communiquer autour de nos recherches, qui ne devraient, à mon sens, non pas s’adresser qu’à un public universitaire mais aussi à un public extra‑universitaire…