Certains chercheurs affirmeront que la recherche doit être libre et indépendante. Pour ma part, je crois que cet idéal ne pourra jamais être atteint, et d’un certains côté, heureusement. La recherche se doit aussi de ne pas être nombriliste, portée sur elle même, et isolée de la société. Elle doit être ouvert aux autres, en lien (et donc dans une certaine forme de dépendance) avec eux. Malgré tout, je m’accorde à dire que si la recherche doit aussi se professionnaliser, elle ne doit pas le faire dans n’importe quel cadre. Vous retrouvez donc ici mes différentes réflexions à ce sujet :

– Sortir de l’université et de son cadre « sécurisant »
– La possibilité de l’auto-entreprise, l’envie d’indépendance et la recherche appliquée
– Sortir de l’université pour mieux y revenir ?

Là encore, ces réflexions ne sont en rien exhaustives. Elles sont, au contraire, subjectives, tirées de ma propre expérience d’anthropologue.

 

Sortir de l’université et de son cadre « sécurisant »

Afin d’être considéré comme chercheur, un étudiant doit avoir une certaine légitimité. En général, cela passe par une licence, un master, puis un doctorat. C’est d’ailleurs à ce stade de l’étude doctorale que le statut de l’étudiant change, et que celui-ci commence peu à peu à être considéré comme un pair, et non plus comme simplement un apprenti.

Pour ma part, je n’ai pas voulu emprunter ce chemin. Après quatre années passées à l’université, j’ai ressenti le besoin d’en ressortir. J’avais l’impression de faire fausse route, que l’université, telle que je la connaissais, n’allait pas m’emmener là où je voulais aller. Pour autant, paradoxalement, j’avais encore envie de faire de la recherche. Peut-être même plus encore qu’avant. Au travers de mes terrains de licence et de master, mon désir de chercher s’était développé en même temps qu’il s’était affiné. Si je voulais faire de la recherche, je ne voulais pas en faire n’importe comment. Quitter l’université me permettait d’aller ailleurs. Je ne savais pas exactement où, mais je savais que je devais changer de cadre, renoncer à un certain confort, à une certaine sécurité (celle du cursus classique : Licence-Master-Doctorat) pour avancer autrement. L’université ne m’apparaissait alors plus comme une possibilité d’émancipation. Sans vouloir dénigrer ce que je mes professeurs m’avaient apporté (et c’est certain qu’ils m’ont beaucoup apporté), je ne voulais pas leur ressembler. Comme d’autres étudiants avant moi, je me suis senti délaissé. Dans cette université de masse, où la relation professeur/élèves (du fait du nombre important d’étudiants) est rare et souvent impersonnelle je ne me suis plus senti, à ma place. Pourtant, au début, lors de mes premières années universitaires, je n’avais pas éprouvé de difficulté d’adaptation, bien au contraire. Ce que certains reprochaient à l’université « pas assez d’encadrement, trop d’autonomie » apparaissait pour moi comme une véritable possibilité d’émancipation, une véritable reconsidération de notre statut : ne plus être un étudiant que l’on doit contrôler, encadrer, afin qu’il suive son professeur, mais être au contraire, cet étudiant autonome, indépendant, qui tente lui même de forger le cadre dans lequel il veut évoluer, et qui, pour cela, ne suit donc pas son professeur mais l’utilise (ou non) selon ses besoins. Le master me paraissait alors comme étant une autre phase de maturité, où on ne faisait pas que construire un cadre pour soi, mais où on tentait d’y inclure les autres, et notamment, ses professeurs. Or, pour ma part, je n’ai pas assez réussi à intéresser mes professeurs, à les faire entrer « dans mon cadre », dans la recherche que je menais. Une question m’est alors venue à l’esprit. Pourquoi faisons-nous une recherche ? Pour valider un diplôme ? Non. Pour ma part, ce n’était pas ce seul intérêt pragmatique qui m’animait. Ma motivation était aussi liée à l’intérêt intellectuel et affectif que j’éprouvais pour mon sujet, mais aussi à l’idée que cet intérêt pouvait permettre de repenser le monde, la société. Et c’est justement cet intérêt que je n’arrivais pas à assouvir. Ma recherche de Master 1 m’avait permis de valider mon année, de faire le bilan de toute l’expérience empirique que j’avais vécu, mais ce bilan (et les réflexions qui en découlent) était resté comme quelque chose d’inachevé du fait que je n’avais pas réussi à le partager. Etait-ce parce que ce bilan n’était pas intéressant ? Je ne pense pas. Mes professeurs n’ont jamais témoigné leur indifférence pour des raisons de fonds mais pour des raisons pragmatiques (trop d’étudiants, pas assez de disponibilité, etc.). Dès lors, il m’a semblé important de ne plus me positionner en tant que victime (car critiquer l’université ne m’aurait rien apporté), mais plutôt en tant qu’acteur : si l’université ne peut pas être à l’écoute de mon travail, alors c’est à moi de trouver d’autres chemins, d’autres institutions et d’autres publics qui pourraient trouver un plus grand intérêt dans ce que je fais. D’autant plus que cette idée d’expérimenter d’autres chemins rejoignait une conviction pour laquelle j’étais de plus en plus persuadé : il nous manquait dans nos pratiques de chercheurs universitaires (ou du moins celle qu’on m’a enseignée), une dimension médiatique, où l’on tente de s’ouvrir à d’autres publics, de rendre nos recherches accessibles à des individus extérieurs à l’université. Sortir de l’université, expérimenter d’autres chemins pour construire et partager mon travail, m’apparaissait alors comme quelque chose de dangereux, incertain du fait de son caractère expérimental, mais, en même temps, nécessaire. Et je crois qu’au fond, c’est la nécessité qui a prévalu.

 

La possibilité de l’auto-entreprise, l’envie d’indépendance et la recherche appliquée

Sortir de l’université (ne serait ce que partiellement), sortir de ce cadre sécurisant (voir article précédent) me permettait de prendre des risques, d’apprendre de nouvelles choses. D’un autre côté, cela posait implicitement la question où aller, dans quel cadre mener mes recherches ? A l’époque, une forme juridique m’intéressait particulièrement : l’auto-entreprenariat. De par son côté libéral (c’est à nous de trouver les financements nécessaires à notre recherche, c’est donc à nous de choisir, ou non, les missions pour lesquelles on se sent compétent), et de par son côté sécurisant (l’auto-entrepreneur permet de cumuler son activité avec un autre poste de salarié, et ainsi de développer son activité de façon professionnel tout en s’assurant d’un salaire fixe, de par son autre poste, jusqu’à ce que son activité devienne assez rentable pour être considérée comme activité principale), je trouvais ce modèle séduisant. Le côté libéral de l’auto-entreprenariat n’apportait cependant pas que des avantages. En dehors de l’université, il est difficile de faire de la recherche « pour la recherche », développer des réflexions à but simplement interrogatif, qui n’ont pas de résonance pragmatique (ou du moins, pas dans un temps court). Ce qui est bien souvent demandé par les collectivités territoriales, les institutions publiques, les associations, les ONG, et les entreprises privées, c’est de faire de l’action sociale, ce qu’on appelle aussi de la recherche appliquée. Dès lors, l’anthropologie répond à une « commande », à un besoin d’information pour laquelle la recherche doit apporter des réponses. Il est donc difficile pour l’anthropologue de faire valoir le côté inductif de sa recherche qui, souvent, ne lui est pas apriori demandé, du fait du caractère commanditaire (et donc déductif) de la demande. Le risque est donc d’oublier ce caractère inductif que doit contenir une recherche anthropologique, de ne faire que répondre à des commandes, à des appels à projets, d’oublier qu’une recherche scientifique se doit d’être quelque chose de personnel, dont on est le moteur, dont on est le responsable intellectuellement parlant. Mener une recherche anthropologique dans ces conditions extra-universitaires amène donc à réaliser une gymnastique intellectuelle pas simple, mais, je crois, possible, si l’anthropologue détermine bien les choses au préalable. D’abord, il y a lui, le chercheur, ses intérêts, et ses intentions de recherche. Ensuite, il y a les différents partenaires avec qui il peut (ou pas) collaborer, ceux qui sont susceptibles d’avoir des questions pouvant potentiellement être en lien avec les propres interrogations du chercheur. Enfin, il y a le terrain, qui selon les partenaires (les commanditaires) et le chercheur, ne représente pas la même chose. Pour le premier, il correspond simplement au sujet de la mission donnée. Pour le second, c’est un concept plus large comprenant à la fois les sujets des missions qu’il effectue mais aussi les commanditaires qui lui demandent d’étudier ces sujets selon un certain angle. Parce que si les objectifs des partenaires (ceux de l’action sociale, ceux de la recherche appliquée) peuvent entrer en correspondance avec ceux du chercheur (et de sa recherche fondamentale), ils ne sont pas pour autant les mêmes. Par définition, le premier est d’ordre plus pragmatique, il s’inscrit dans une temporalité plus courte, dans le but d’agir présentement. Alors que le second est d’ordre plus théorique, il s’inscrit dans une temporalité plus longue, dans le but d’enrichir un patrimoine intellectuel collectif qui servira éventuellement à d’autres individus futurs. Bien souvent aussi, les objectifs du commanditaire sont souvent plus ciblés, plus spécifiques, il n’interroge qu’une partie du problème. Or pour le second, pour le chercheur, ce qui est intéressant c’est de soulever le problème aussi profondément que possible. Malgré tout, travailler de façon libérale, avec le monde professionnel, avec le monde extra-universitaire, n’est pas selon moi quelque chose à dénigrer. D’abord parce que cela peut nous permettre en tant que chercheur d’avoir des fonds pour faire du terrain, et donc, du temps pour écouter nos sujets d’études, les observer, vivre avec eux, partager des moments, réfléchir à des sous questions que pose notre enquête (à la fois celle commandée mais aussi celle plus fondamentale), commencer à poser des questions, construire des hypothèses de réflexions, etc. Ensuite, parce que ces différentes actions sociales permettent de mener sa recherche fondamentale non pas seul au sein d’une université, mais de l’inscrire dans un réseau qui se tisse de façon plus large au sein de la société. Enfin, parce qu’il nous permet, à nous chercheur, de ne pas étudier simplement qu’un sujet d’étude de façon isolée, mais de l’étudier en relation avec d’autres structures, avec d’autres institutions et ainsi voir comment celui-ci est perçu, abordé, et parfois même, théorisé de façons multiples. En cela, il me semble que mon choix de quitter l’université n’allait pas à l’encontre de mon envie de faire de la recherche fondamentale (et donc universitaire), bien au contraire… 

 

Sortir de l’université pour mieux y revenir ?

Si j’ai décidé de sortir de l’université à la fin de mon master 1, cela n’a jamais été avec l’intention de la quitter complètement. Avant d’y revenir et de reprendre mes études, il me semblait néanmoins important de développer quelques projets. D’ordre médiatique et artistique tout d’abord (j’avais l’impression d’avoir des choses à raconter que je n’avais pas dites, ou du moins, pas aux bonnes personnes). Et d’ordre professionnel ensuite, dans le but justement de revenir à l’université, non plus comme un simple étudiant mais comme un indépendant, une personne qui pouvait à la fois prétendre faire de la recherche dans et en dehors l’université, et qui, de ce fait, n’attende pas trop de l’université, mais qu’il puisse équilibrer ces attentes au travers de plusieurs institutions et partenaires qui pourraient profiter (ou non) de son travail.