Dans un précédent article (voir l’article 3.2.1.6.4 – Pour qui écrire son enquête), je soulignais l’importance pour un anthropologue de s’ouvrir à d’autres publics. Je pense, en effet, que cette question, « à qui doit-on adresser notre retour d’enquête », est fondamentale, et que c’est un élément à prendre d’autant plus en compte dans le contexte actuel, où l’université n’est peut-être plus assez en phase avec la société (voir l’article 3.2.3.1 – La fracture université-société). Et cela, peut-être plus encore en sciences humaines et sociales, notamment pour deux raisons. La première est que, pour moi, une recherche autocentrée, une recherche faite par et pour des chercheurs, est moins productive (même intellectuellement parlant) qu’une recherche qui s’ouvre sur le monde, un monde qui ne travaille pas dans la recherche, mais qui, dans une moindre mesure, réfléchit aussi sur l’Homme et la société, et peut donc être lui aussi source de réflexion intéressante. Ensuite, la seconde raison est que les sciences humaines ne sont que très peu financées par le secteur industriel, à l’inverse des sciences dures qui peuvent, elles, être potentiellement source de progrès technologique. Les sciences sociales reposent donc, il me semble, sur un autre capital. Si s’interroger sur l’Homme et réfléchir sur la société ne permet pas un apport technologique, il permet pour autant de mieux comprendre qui nous sommes et comment nous nous organisons pour vivre ensemble. Dès lors, les sciences humaines et sociales apportent quelque chose de fondamental, non pas simplement au secteur industriel, mais à l’ensemble de la société. Pour autant, ce capital est-il assez exploité ? Je ne sais pas, mais j’ai le sentiment qu’il pourrait l’être plus si, nous, chercheurs en sciences humaines, créateurs de ce capital universitaire, nous nous soucions plus du « pour qui » nous créons ce capital et du « comment » nous rendons celui-ci accessible au public pour lequel nous le produisons. Dans ce chemin, tout n’est pour autant pas à réinventer. Malgré le fait que la transmission soit quelque chose de trop peu valorisée à l’université, des actions existent d’ores et déjà, et il faut les noter. Tout d’abord, il y a tous ces cours qui sont donnés chaque année et auxquels on peut participer en tant qu’auditeur libre (dans la limite des places disponibles). Puis, il y a aussi toutes ces conférences, ces séminaires qui sont là encore gratuites et ouvertes dans la plupart des cas. Enfin, il y a les bibliothèques qui sont théoriquement réservées aux étudiants mais qui, dans les faits, sont accessibles à tous (les cartes n’étant contrôlées, de ce que j’ai vu, que lors de l’emprunt de documents et jamais à l’entrée du bâtiment). Malgré tout, et quoiqu’on en dise, ces actions restent attachées à l’université, et il faut plus se renseigner auprès des pôles de médiation universitaire (souvent aussi appelés « Science-Société ») pour trouver une vraie programmation culturelle destinée à un public extra‑universitaire. Mais très souvent, ces pôles ont une place trop marginale au sein de nos universités, et l’idée de transmettre ses recherches à la société n’apparait pas à mon sens comme étant quelque chose d’assez encrée dans les mentalités actuelles. D’un point de vue académique et politique, on retrouve d’ailleurs ce flou. Dans les discours (notamment ceux entendus lors des réformes de l’université, lors de la loi LRU, du projet Campus, etc.) on s’accorde à dire que l’université doit être davantage en lien avec le monde extérieur. Mais dans les faits, les programmes et les réformes qui tendent à cela paraissent là encore comme secondaires. Si les choses doivent changer, il me semble donc que cela doit passer par nous, universitaires, chercheurs, auteurs de ce capital sous exploité que sont les sciences de l’Homme et de la société. Et si notre travail n’est pas jugé sur notre capacité à mieux transmettre nos recherches, et bien, tant pis, pour ma part, j’ai la conviction que c’est un travail malgré tout essentiel. D’abord parce qu’on a rien à perdre (si ce n’est du temps), mais tout à gagner (ne serait-ce qu’au niveau des retours de nos élèves, de l’intérêt que portent différents individus à notre travail, de l’impact de nos recherche, etc.). Ensuite, ne serait-ce que par respect vis-à-vis de nous même, de ce que l’on étudie, parce que nous sommes en devoir d’aller au bout de notre démarche de chercheur, qui je le rappelle est « missionné par la société », et non pas un autodidacte porté par sa simple curiosité personnelle.