Qu’est-ce que c’est ?2019-03-15T15:20:31+01:00

Introduction

Qu-est-ce que l’Anthropologie ?

Avant d’être une discipline, l’anthropologie est un mot, une suite de lettre qui nous ramène à une certaine conception de la discipline. Mais avons-nous tous la même conception de ce terme ? Non. Pour certains, l’anthropologie évoquera des études menées par les colons afin de contrôler des populations colonisés, pour d’autres il s’agira d’une pratique qui vise à calculer la taille des os humains, d’autres, enfin, verront la discipline comme une cousine éloignée de la sociologie. Et si la signification d’un mot ne peut se résoudre qu’à la projection que l’on s’en fait, si langage est aussi socialement défini (on a même pris l’habitude de noter toutes ces définitions dans des dictionnaires) on se rend compte que sa définition (et son étymologie) ne nous renseigne pas davantage. Certes, le mot vient du grec et veut dire « étude de l’Homme », mais cela n’explique en rien ce qui la distingue des autres disciplines tel que : la médecine, la psychologie, ou la géographie ? Pour comprendre cela, il faut voir comment l’Anthropologie s’est construite en fonction des autres sciences humaines. C’est ce que je compte faire ici. Pour autant, il convient de prendre cette synthèse avec des pincettes. D’une part, parce qu’elle est par défintion synthétique et donc forcément incomplet (si vous avez du temps, je vous invite d’ailleurs à lire des ouvrages plus exhaustif sur la question). Ensuite, parce qu’elle n’est rédigée que par un ancien étudiant d’anthropologie (et qu’il existe évidemment des universitaires avec beaucoup plus de connaissances/expériences qui pourront vous en écrire une beaucoup plus complète et juste). Enfin, parce que l’anthropologie étant une discipline vivante (au même titre que les autres sciences humaines), elle ne cesse de se réinventer (sinon, elle meurt). Dès lors, plus qu’une définition rigide, catégorisante, ou essentialiste,  il faut prendre ce portrait de la discipline anthropologique comme une tentative de mettre en avant des traits qui, certes définissent son visage et son Histoire, mais montre aussi et surtout ces dynamiques, ces mouvements, parfois contraire, en opposition, qui ont fait ce qu’elle est, et qui continuent de la faire, encore et encore.

La naissance d’une discipline

Les hommes se sont toujours observés, pensés et étudiés. Dater la naissance de « l’étude de l’Homme » est donc compliqué (voir impossible). Néanmoins, on peut distinguer deux approches. La première correspond à ce que l’on appelle l’anthropologie biologique. Elle se situe dans les sciences dites « dures » (elle est notamment vue dans les cursus de médecine) et s’intéresse à la dimension physique de l’être humain. La seconde approche (celle que j’ai étudié et que je vais donc davantage développer) se situe plus dans le domaine des sciences dites « moles ». Elle s’intéresse plus à l’Homme dans sa dimension socio-culturelle : c’est ce qu’on appelle communément les sciences humaines et sociales. Parmi ces sciences humaines et sociales, avec la découverte des Amériques par Christophe Collomb, un intérêt naît pour cet « Autre » qu’était les populations amérindiennes. Face à cet intérêt (et les difficultés pour se déplacer entre l’Europe et les Amériques), une pratique est développée pour décrire et collecter des données de terrain : c’est l’ethnographie. Peu à peu, ces données ethniques sont d’une part collectées, mais aussi étudiées. C’est le début de l’ethnologie. Parallèlement à cette quête de compréhension de l’Autre, parallèlement à ce travail de compréhension des différences culturelles sociales entre les Hommes, se pose aussi la question de son unité. C’est ce qu’introduit Lévi Strauss en distinguant trois phases d’une seule et même discipline : l’ethnographie (qui s’attache à décrire rigoureusement les pratiques humaines et collecter des données sur un groupe donnée), l’ethnologie (qui se concentre à l’étude de ces données), et l’anthropologie (qui s’intéresse à faire correspondre ces études ethnologiques pour s’interroger sur l’Homme de manière plus global).

La singularité de l’anthropologie

Si l’anthropologie sociale est née d’une curiosité intellectuelle pour  « l’Autre », entendez cet « autre homme du continent américain », ce n’est actuellement plus forcément le cas. L’ethnologie n’est plus seulement ce que son étymologie désigne : l’étude de l’ethnie. Ou, tout du moins, plus tel qu’on l’entend aujourd’hui dans le langage courant. Le terme « ethnie » ne renvoi plus à ce qu’on a appelé autrefois « les peuples primitifs » ou cet « autre lointain » qui se trouverait de « l’autre côté du continent ». Aujourd’hui, il «désigne un ensemble linguistique, culturel et territorial d’une certaine taille » (définition tirée du Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie de Bonte et Izard). En d’autres termes, une étude anthropologique peut s’intéresser aussi bien s’intéresser à des populations amérindiennes qu’à vous, à vos amis qui se retrouvent le dimanche pour jouer au foot, à une association en bas de votre rue, au groupe de coinche de votre grand-mère, etc. Les sujets d’études se sont ainsi multipliés, et concernent désormais tout aussi bien des terrains dits « proches » que des terrains « lointains». Ce changement de paradigme fut par ailleurs essentiel parce qu’il a permis de rompre avec une certaine conception évolutionniste et ethnocentriste de l’autre. Observer des ethnies païennes ou des ethnies dites « primitives » ne suffisait plus (on se rendait compte que ces ethnies dites « primitives » n’étaient en fait pas plus primitives que nous, et on se rendait aussi compte qu’on était toujours l’autre de quelqu’un). Il s’agissait avant tout d’observer l’altérité de manière plus large : qu’elle soit extérieure ou inhérente à nos propres sociétés. Dès lors, l’altérité n’était plus rattaché à un groupe d’individu spécifique mais devenait un concept plus complexe, et l’Anthropologie une science plus profonde : la définir par son sujet d’étude ne suffisait plus. Mais alors, qu’est-ce qui pouvait et peut encore faire sa spécificité ? En quoi est-elle légitime vis-à-vis des autres sciences humaines et sociales ? Je pense que c’est dans sa tradition méthodologique que cette discipline prend pour moi, tout son sens : dans l’étude inductive et qualitative. Bien sûr, l’anthropologie n’est pas la seule discipline à utiliser ce type de méthodes. D’autres chercheurs venant d’autres disciplines y ont eu recourt (tout comme des anthropologues ont parfois recourt à d’autres méthodes). Et il est vrai que les barrières entre les différentes disciplines de sciences humaines et sociales sont aujourd’hui poreuse. C’est notamment le cas entre l’anthropologie et la sociologie. Pour autant, une différence persiste. Le parcours de chacune des disciplines ne sont pas les mêmes. Et en l’occurrence, à l’inverse de la sociologie (qui propose une approche une méthodologique plus diversifiée), la méthode inductive et qualitative tient une place fondamentale dans la discipline anthropologique. Historiquement, cette dernière s’est fondée sur une problématique : les chercheurs avaient besoin de passer par une phase ethnographique pour rapporter leur donnée en Europe (il n’était pas aussi simple de se déplacer entre les Amériques et l’Europe au XVIIIème siècle). Le chercheur avait donc un rapport long au terrain. Il le côtoyait quotidiennement. Ce n’était que dans un second temps que l’étude, l’ethnologie, pouvait être menée. De cette contrainte technique est donc née une méthodologie alternative. Génération après génération, celle-ci a été explorée. L’importance de l’approche qualitative et de l’observation participante a été argumentée. Et peu à peu, cette méthodologie s’est imposé comme l’axiome de la discipline. Axiome, qui, à mon sens en fait sa spécificité.

Comment définir une recherche anthropologique ?

Si l’anthropologie sociale n’est pas définie par un sujet d’étude, si elle peut désormais étudier à peu près tout ce qui se rapproche de l’être humain, elle ne peut pas étudier tout n’importe comment. Elle se caractérise par une certaine tradition méthodologique. De fait (et pour résumer les deux paragraphes ci-dessus), on peut considérer une enquête comme anthropologique si :

  • – Le sujet d’étude concerne l’Homme (ça parait évident, mais ça élimine déjà des possibilités), et les populations étudiées sont vivantes (sinon, comment faire du terrain, des terrains, des observations, de la participation, et des entretiens avec eux ?). Attention, les études sur les sociétés et les individus morts font partie de l’anthropologie historique, préhistorique, ou biologique, et reposent sur d’autres modalités de recherche (il ne s’agit pas d’anthropologie sociale)
  • – La recherche est menée avec une méthode qualitative : le groupe étudié doit donc être suffisamment restreint pour que l’anthropologue puisse connaître personnellement les individus qu’il étudie.
  • – La posture du chercheur est inductive : c’est-à-dire, que sa réflexion parte du terrain pour construire une réflexion théorique, et non l’inverse. Concrètement, cela passe par une période de décentrement, où nous intentions de recherches sont altérés par notre terrain, où notre regard sur celui-ci change, et où de nouvelles questions émergent. Cela sous-entend donc que l’anthropologue doit :
    • – Mener une expérience empirique assez longue : parce que le décentrement peut prendre un certain temps
    • – Être à l’écoute de l’autre : avec des vrais temps consacrés à cela, notamment au travers d’entretiens.
    • – Être dans une posture d’observation participante, c’est-à-dire, dans une posture non pas complètement extérieure et déliée du terrain, mais au contraire, dans une posture qui se veut impliquée, prenant part à l’expérience empirique.

Conclusion : la tradition méthodologique comme ressource plurielle

Si l’anthropologie se définit à travers une certaine tradition méthodologique, cela ne veut pas dire pour autant que toutes les recherches appliquent la même méthode. D’une part, parce qu’en tant que science inductive, la méthodologie mise en place dépend du terrain (et, qu’en fonction de celui-ci, chacun a ses petits « trucs et astuces » et chacun fait ses choix). D’autre part, parce que cette tradition méthodologique ne doit pas être vu comme un héritage sclérosant. Il doit davantage être vu comme un cadre, servant à expliquer ce qu’est l’anthropologie (ce qui en fait la spécificité vis-à-vis des autres sciences humaines). Comprendre ce cadre, c’est comprendre aussi le type de savoir que l’on veut (ou que l’on ne veut pas) produire (et en cela, il n’y a pas de bons ou de mauvais choix, simplement des choix qui caractérisent ce que nous produisons). Comprendre ce cadre, c’est aussi comprendre que celui-ci ne s’est pas fait seul (mais qu’il a été et est encore aujourd’hui le fruit de rencontres, de débats, de partages, de contradictions, de discussions, etc), qu’en cela, c’est le fruit d’une activité humaine, vivante, dynamique, et donc qu’il ne s’agit pas quelque chose de complètement figé (combien même il s’agit des fondements de l’anthropologie). Au contraire, cette tradition méthodologique est là pour être affinée, réfutée, réinventée, etc. Par ailleurs, au sein d’une même méthodologie dite « inductive et qualitative » plusieurs choix méthodologiques sont possibles. Est-ce que je préfère me placer dans une observation participante ou plutôt dans une participation observante ? Quelle distance je souhaite mettre avec mon terrain ? Est-ce que ma prise de notes se fait in vitro ou à posteriori ? Est-ce que je vais faire beaucoup d’entretien formel ou bien est-ce que je privilégie les entretiens informels ? À toutes ces questions (et à toutes celles que l’on aurait pu continué à expliciter) il existe autant de réponses que de chercheurs et de terrain. Ce travail d’adaptation, entre nos affinités méthodologiques et celles de notre terrain, est d’ailleurs une grande partie du travail de l’ethnographe. Et pour cela, l’anthropologie ne doit pas être perçu comme une tradition méthodologique à laquelle il faudrait se soumettre, mais au contraire, être perçu comme une boite à outils, un bagage d’expériences méthodologiques développés et théorisés par d’autres chercheurs. En cela, et pour conclure sur cette boite à outils méthodologiques, je vous invite à lire l’article de  Jean Pierre Olivier de Sardan : « La Politique de Terrain » (que j’ai découvert étudiant et qui me fut très utile pour affiner et affirmer mes choix méthodologiques).

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Dans le chapitre suivant, je vous parle de ma pratique personnelle de l’Anthropologie

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