Le caractère dynamique de la méthodologie
Comme expliquez en introduction de ce chapitre (lien), l’Anthropologie étant une science dite inductive, il serait ridicule de définir une méthodologie stricte, qui précéderait l’expérience du terrain. Pour autant, si cette dernière se façonne avec un terrain, elle ne se façonne pas par le terrain, mais bien par un échange avec celui-ci. Dès lors, l’anthropologue ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur sa méthodologie, car :
– Son passage sur son terrain laisse des traces. De la même manière qu’il est transformé par les gens qu’il rencontre, il transforme ces derniers de par sa rencontre avec eux (et ce, même si cette transformation n’est pas voulue et le fruit de son seul passage sur le terrain).
– Il produit quelque chose. Même si le chercheur ne s’inscrit pas dans une logique productiviste (mais dans une logique scientifique, de compréhension du monde), il n’en reste pas moins qu’il acte sa compréhension par une production (qui, là encore, pourra impacter le devenir du terrain, tout comme elle pourra impacter la carrière du chercheur).
Dès lors, les enjeux d’une recherche sont partagés. Avoir conscience de ces enjeux, c’est pouvoir faire des choix aussi bien éthiques que méthodologiques. L’anthropologue doit donc avoir conscience que :
– Il n’arrive jamais vierge sur son terrain (qui n’est lui non plus pas vierge). Un chercheur a forcément des intentions, des envies, un bagage idéologique et intellectuel (de la même manière que son terrain a lui aussi ses besoins, ses désirs, ses contraintes et possibilités, etc). De plus, sa recherche a, elle aussi, un contexte de production : le chercheur fait partie d’une institution (un laboratoire, une université, etc), il s’inscrit dans un réseau (un discipline, d’autres chercheurs, etc), sa recherche est parfois financé, le chercheur doit parfois rendre des comptes, etc.
– Bien souvent, c’est lui qui va au terrain. Cela n’est pas forcément toujours le cas (il peut arriver qu’une enquête soit le fruit d’une demande d’un terrain qui va chercher un chercheur), mais de manière générale, une enquête est souvent à l’initiative d’un élément extérieur à la communauté enquêtée (une envie d’un chercheur, une commande d’une institution, etc).
Dès lors, un travail méthodologique préalable au terrain m’a toujours semblé d’une part intéressant (en vue de prendre du recul sur notre posture et la manière avec laquelle nous allons intervenir sur le terrain), d’autre part nécessaire (si c’est nous qui allons sur le terrain, c’est à nous d’introduire la possible expérience, tenter d’expliquer les tenants et les aboutissants, pour laisser au terrain la possibilité d’accepter, de refuser, et bien souvent de négocier une telle expérience). Ce travail méthodologique préalable n’est pour autant pas suffisant. De la même manière que nos intérêts et nos envies scientifiques évoluent, ceux de notre terrain se transforment aussi. La méthodologie doit donc être renégociée continuellement. Accepter cela (rester éveiller et ouvert quant à ses renégociations), c’est aussi une manière de rester éveiller quant à l’évolution de son terrain et de sa recherche. La méthodologie n’est ainsi pas seulement un élément qui permet une expérimentation (comme cela peut l’être dans le cadre de sciences « plus dures »), mais c’est aussi un élément qui fait partie de l’expérience elle-même. En d’autres termes, la méthodologie n’est pas qu’un moyen pour collecter des données de terrain. Il s’agit aussi en tant que tel d’une donnée.
Être dans cette idée d’échange avec le terrain, s’orienter sur cette posture dynamique de la méthodologie, est donc aussi un moyen d’affirmer une position au sein même de la science : ne pas revendiquer une affiliation directe au modèle des sciences dites « dures » mais d’être au contraire dans un modèle plus alternatif, celui des sciences dites « molles » ou « sensibles ». Et ainsi de reposer la question de l’éthique et de la légitimité de nos recherches sous un autre angle que celui du positivisme.