Le retour d’enquête comme parole de l’autre
Plusieurs fois au cours de mes études, j’ai entendu différentes personnes exprimer le fait que l’anthropologue se devait d’être « porteur de la parole de l’autre ». Historiquement, cette idée peut s’expliquer par le début de la discipline et les difficultés de transports qu’il y avait à l’époque. De fait, les ethnographes, en tant que voyageurs, étaient porteurs d’un discours et d’une image sur ce qu’était le « nouveau continent » (et les « autres » qui le peuplaient). Cette idée peut aussi encore s’expliquer actuellement par le choix de certains sujets d’études se trouvant être des minorités ethniques, parfois non-entendues, et dont le besoin premier était d’être défendu. De fait, les anthropologues peuvent parfois prendre le rôle là encore d’intermédiaire et de médiateur. Malgré tout, cette vision de l’anthropologue comme « porteur du parole de l’autre » m’a toujours mis mal à l’aise. Si je peux comprendre l’intérêt d’une médiation, il me semble important (voir même fondamental) de garder l’identité de sa parole (et de ne pas récupérer celle de l’autre). Le discours d’un anthropologue ne doit engagé que lui (et cela, même si c’est avec la rencontre des autres qu’il a pu construire son discours). De la même manière, il est important que les populations étudiés puissent avoir un discours qui leur est propre. Certes, il ne faut pas enlever à notre travail toute dimension de médiation : si notre discours peut momentanément servir de relai, si elle peut aider des populations à se faire davantage comprendre, c’est tant mieux. Mais ce « relai » ne doit être que temporaire, et ne pas être considéré pour plus qu’il ne l’est. Veiller à cet équilibre est parfois complexe. Il faut non seulement veiller au statut que nous prenons par nous même (faire attention qu’on le ne remplace pas par notre discours, celui que le terrain peut porter), mais aussi veiller au statut que les autres nous donnent : ceux qui font partis de notre terrain (qui ont parfois besoin d’une personne extérieure pour porter leur voix plus loin), ceux qui financent notre recherche (qui ont parfois besoin de comprendre un fait et préfère passer par un intermédiaire plutôt que d’écouter directement les personnes concernés), ceux qui vont potentiellement lire nos travaux, etc. Il convient d’expliquer régulièrement que notre regard n’est qu’une tentative de « lire par-dessus l’épaule » (pour reprendre les mots de Geertz, et les idées de l’anthropologie interprétative), mais que ce n’est pas forcément le regard des personnes étudiées. Il convient aussi de réaffirmer notre subjectivité : d’expliquer que si nous essayons bel et bien de comprendre les codes et les réflexions de l’autre, nous analysons aussi la réalité par un prisme extérieur et étranger, et que notre regard ne peut pas se conformer à l’autre (ne serait-ce du fait que notre démarche est aussi nourrie de lectures théoriques, et que nous avons, avant notre d’aller sur le terrain, notre propre histoire personnelle, indépendante du groupe que nous étudions).