Un retour d’enquête pour qui ?
Lors de mes quatre premières années universitaires, je n’ai jamais entendu parler du destinataire de notre travail. La question : « pour qui écrit-on ? » était peut-être (trop) évidente. Nous étions à l’université, nous écrivions pour la communauté universitaire. On ne se posait pas la question. Pourtant, étudiant, quelque chose me troublait dans cette façon de faire. Pour moi, l’université, en tant qu’institution publique, ne devait pas se replier sur elle même, mais au contraire, tendre vers les autres, et en particulier, les contribuables, les citoyens qui payent des impôts et nous permettent de faire nos recherches. Je ne voulais pas faire « de la recherche pour enrichir la recherche ». C’est d’ailleurs peut-être pour cela que j’ai décidé de faire un Diplôme Universitaire qui tentait de démocratiser les « savoirs anthropologiques» par l’image (le D.U Anthropologie et Image Numérique à Émile Cohl). C’est là bas qu’on m’a posé, pour la première fois, une question qui me semble essentielle quand on produit un discours (qu’il soit écrit, oral, visuel, audiovisuel, etc) : à qui s’adresse-t-on ? Quel est notre destinataire ? Ou en d’autres termes (plus marketing) : quel est notre public cible ? La question me semble essentielle parce qu’au delà de son aspect commercial (qui pour le coup est très superficiel), elle pose la question du « comment adapter son discours pour qu’il soit intelligible par l’autre ». Par ailleurs, il ne s’agit pas que d’une question personnelle. En Master 2, une étudiante qui présentait son travail de recherche se l’était aussi posé. Pour elle, on écrivait d’abord pour ceux qui nous ont permis de faire notre recherche : notre terrain. Pendant longtemps, j’ai été d’accord avec cette approche. Désormais, je pense qu’il serait simpliste de résumer les personnes qui nous ont permis de faire notre recherche aux simples membres de notre terrain. Il y a aussi ceux qui ont aidé à son développement théorique (notre directeur de recherche, les auteurs que nous avons lu, nos collaborateurs scientifiques, etc.) et ceux qui l’ont financé ou l’ont encadré juridiquement (un laboratoire, un dispositif, une institution, une association, etc). Ensuite, je pense qu’en tant que « chercheur dans le domaine public », en tant qu’universitaire, en tant que membre d’une institution financé par la société, nos recherches doivent être aussi accessibles, d’une manière ou d’une autre, à un public plus large que le public connaisseur (comme l’est d’une certaine manière notre terrain ou le public universitaire). Trouver le point d’équilibre de cette triangulation (entre trois publics-cibles distincts) n’est certes pas aisé, mais il me semble que c’est un des grands enjeux de l’écriture.
La question du « pour qui produisons-nous un rapport anthropologique » renvoi donc à la question du « comment adapter ce rapport pour le rendre intelligible ». Et même s’il ne s’agit évidemment pas de déterminer catégoriquement qui est et qui n’est pas notre public (tout comme nous sommes incapable de déterminer réellement à priori comment le public va recevoir notre travail), il est important de se poser des questions là dessus (se positionner à priori dans une démarche d’écriture, quitte à se rendre compte à posteriori que celle-ci n’était pas bonne). Et évidemment, sur ce point, l’anthropologue n’est pas seul. Il peut se faire accompagner…