L’implication du chercheur au sein de son terrain
J’ai toujours eu une vision très impliquée de l’anthropologie. Dès ma première année universitaire, ce qui m’a intéressé dans cette discipline, ce fut son caractère inductif. Je me rappelle que lors de mes premiers cours magistraux, j’étais fasciné par l’idée que les anthropologues se déplaçaient, vivaient sur le terrain, et essayaient de comprendre les sociétés et les individus de l’intérieur. C’est au cours de cette année que j’ai découvert le concept d’observation participante (voir lien Wikipedia). Un concept repris ensuite en seconde année, à travers l’article de Bastien SOULÉ : « Observation participante ou participation observante? Usages et justifications de la notion de participation observante en sciences sociales ». Peu à peu, mon envie d’être dans une posture impliqué sur mes terrains a trouvé une certaine légitimé. Mon terrain n’était pas qu’un sujet d’étude, c’était un ensemble d’interactions vivantes et dynamiques. Pour tenter de comprendre en partie ces interactions, je ne devais pas simplement les « observer pour tenter de répondre aux questions que je me serais préalablement posées » mais je devais moi-même interagir avec elle : en rencontrant les personnes, en passant du bon temps, en échangeant, en apportant parfois mon point de vue, en écoutant le leur, en me liant d’amitié avec eux, mais aussi parfois en m’ennuyant, en éprouvant du dégoût, de la répulsion, parfois même de la rancœur vis-à-vis de mon terrain. C’était sur cet ensemble d’interactions sociales vécues que je voulais et pouvais construire mon enquête. Non pas pour « trouver des réponses aux questions que je m’étais préalablement posées » mais plutôt de me poser de nouvelles questions, étudier de nouvelles hypothèses, développer de nouvelles réflexions. Parallèlement, au fur et à mesure de mes expériences ethnographiques, je me rendais aussi comptes des problèmes qu’entrainait une telle approche inductive où je me laissais fortement imprégné par le terrain. À partir du Master, la question de la distance avec le terrain et du caractère scientifique de ma recherche s’est posée. Certains de mes professeurs ont présenté les problèmes qu’un chercheur peut éprouver quand il « épouse le terrain » ou quand il est en-cliqué avec celui-ci. Et s’ils ne remettaient pas en question le fait que l’anthropologue devait évidemment passer du temps sûr et avec son terrain, ils induisaient tout de même une nuance : il devait quoiqu’il arrive exister une distance entre l’anthropologue et les autres sujets de son terrain. L’anthropologue ne faisait pas que participer à la vie de son terrain, il l’observait aussi, et ce en vue de produire une connaissance scientifique. Cette différence ne devait pas être occultée. Dans mon cas, si j’avais la sensation d’appartenir à une branche de l’anthropologie qui revendiquait justement une forte imprégnation sur son terrain, je n’ai jamais eu la sensation d’être similaire à mon terrain. D’une part, parce que je ne voyais pas mon terrain comme une unité homogène (le fait d’être proche m’a bien souvent montré comment chacun des membres du dit terrain avait son parcours, ses perspectives, et des trajectoires qui leur étaient propre). D’autre part, parce que j’avais l’impression d’avoir moi aussi une dynamique singulière par le simple fait que je menais une recherche. Cette dynamique m’a d’ailleurs beaucoup interrogé lors de la rédaction de mon premier mémoire (à la fin de mon Master 1). Je me demandais : en quoi ma recherche pouvait-elle être considérée comme scientifique ? Dans cette phase de pré-écriture (où je remettais évidement ma légitimité en question), j’ai ainsi pu observer à posteriori ma différence avec le terrain. Si j’étais impliqué, je n’étais pas que dans la participation. Je prenais des notes sur les expériences passés sur/avec mon terrain. J’avais un carnet où j’écrivais mes observations. Je passais un temps considérable à la bibliothèque, en train de lire des ouvrages théoriques. Et je ne crois pas que mon terrain faisait tout cela, ou tout du moins, il ne le faisait pas comme moi : en vue de produire une connaissance académique. En cela, ma recherche était scientifique : mon implication était le fruit de choix méthodologiques que je pouvais (et devais) expliquer (et qui pouvaient évidemment aussi être critiqués). Ceux-ci dépendaient de mes appétences personnelles, des possibilités que m’offraient le terrain, mais aussi du type de recherche que je voulais produire. Dans mon cas, je crois que je me situe de manière générale plutôt dans une science dite « sensible », qui dépend forcément en partie de la subjectivité du chercheur, qui implique une immersion et une imprégnation forte sur le terrain, mais qui implique inévitablement aussi, un temps plus réflexif, où par l’écriture on met à distance l’expérience vécue (l’immersion, l’imprégnation), pour tenter de l’objectiver, ou en tout cas, d’être capable de le rendre accessible/intelligible à autrui.
Conseil de lecture :
Si vous désirez en savoir plus sur les différentes méthodologies pouvant être appliquées en Anthropologie, je vous conseille le super article de Jean-Pierre Olivier de Sardan :
« La politique du terrain », Enquête [En ligne], 1 | 1995, mis en ligne le 10 juillet 2013, consulté le 08 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org.bibliotheque-nomade2.univ-lyon2.fr/enquete/263
Il explique plusieurs postures possibles en anthropologie et a été fortement utile lors de mon parcours universitaire (notamment lors de ma première année de master).